Abdoulaye Yaya : « La corruption est le 2e sport le plus pratiqué au Togo »

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D’aucuns croiraient un «opposant en mal de sensations fortes» ou un «activiste haineux » de l’opposition. Mais ces déclarations sont du Président de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Abdoulaye Yaya. Il les tenait jeudi dernier, à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du nouveau Président de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA). Mais pourquoi le chef de l’appareil judiciaire togolais pouvait-il se permettre de tels propos ? Ci-dessous les motivations probables.

« Après le football, la corruption devient le 2e  sport le plus pratiqué au Togo. Ça ne sera pas facile, ce combat ; mais si vous réussissez, le peuple togolais vous sera reconnaissant». Il est réputé pour n’avoir pas sa langue dans sa poche. Jeudi dernier lors de la prestation de serment du nouveau Président de la HAPLUCIA Kimelabalo Aba devant les membres de la Cour suprême justement, Abdoulaye Yaya a une fois de plus osé crever l’abcès en public, dénoncer cette gangrène qu’est la corruption au Togo. Une sortie qui doit sans doute faire couler de la bile et hérisser des cheveux sur des têtes dans certains milieux. Mais le magistrat n’aurait pas tort. Bien d’éléments participent en tout cas à la justification de telles déclarations.

Le«Covid-gate »

Il n’y a pas eu détournement. Au gouvernement, on met ses dix doigts au feu et nie toute malversation. Dans un communiqué daté du 9 février dernier, l’exécutif « se réjouit de ce que ce rapport (de la Cour des comptes) considère que les dépenses relatives aux mesures barrières, de riposte ou sanitaires sont conformes, régulières et sincères » et fait part de sa satisfaction que les ressources mobilisées à travers le Fonds de riposte et de solidarité contre la Covid-19 (FRSC) aient été « utilisées conformément aux clauses des accords de dons et de prêts d’une part, et dans le respect des textes en vigueur et de ceux pris dans le contexte d’urgence sanitaire d’autre part ». L’équipe gouvernementale s’accroche à l’opinion de la Cour des comptes selon laquelle « le paiement de dépenses inscrites dans le budget de l’État est conforme aux textes en vigueur y compris ceux pris pendant la période d’urgence sanitaire » et darde que les insuffisances dont fait mention le rapport « ne signifient ni que la dépense est fictive, ni que les deniers ont été utilisés de manière illégale voire détournés », prenant à témoin l’institution qui n’aurait pas établi de rapport de malversations ou de fraudes. Parallèlement à ce communiqué, des porte-voix du gouvernement sont montés au créneau pour appuyer ce négationnisme ostentatoire.

Au sein de l’opinion, on tombe des nues devant cette sortie cocasse de l’exécutif sur un rapport aussi clair relevant les anomalies monstres impliquant presque tous les ministères…Le commun des Togolais et même des députés habituellement aphones devant les travers du régime voient des surfacturations à grande échelle et un détournement déguisé des fonds Covid-19 et sont logiquement scandalisés. Mais tout porte à croire que le français du gouvernement est différent de celui de la plèbe et que les irrégularités rapportées – « Des rémunérations sans aucune base juridique sont payées aux membres des comités et à certains personnels dits d’appui », « Prestations exécutées en l’absence de contrats ou conventions dûment signés et approuvés par les autorités compétentes », « Des marchés ou conventions attribués aux entités inéligibles à la candidature de la commande Publique », « Le non reversement du reliquat des transferts dans les caisses de l’Etat », « Non-respect de la procédure de reddition des comptes prévue par le décret N° N°2020-053/PR », « Paiement de dépenses sans base juridique »…- sont normales.

«Pétrole-gate», scandales des CAN…

Avant le « Covid-gate » qui montre l’ampleur de la corruption au sein de l’appareil d’Etat que le gouvernement tente de nier et qui constitue en tout cas l’actualité en matière de corruption pouvant motiver les déclarations d’Abdoulaye Yaya, il y avait le « Pétrole-gate », cette affaire de détournement de plus de 500 milliards de FCFA dans l’importation du carburant au Togo révélée au grand jour par votre journal L’Alternative.

Dans ce dossier, des noms d’officiels et autres grands commis de l’Etat ont été formellement cités, de même que les montants détournés ou du moins gardés par-devers eux. Mais c’est l’organe et son Directeur de Publication Ferdinand Ayité qui ont été condamnés en première instance. Le gouvernement lui-même commanda dans la foulée un audit qui confirma les malversations et l’assortit de recommandations dont la mise à la disposition de la justice de certains mis en cause. Mais, comme dans une pièce de théâtre, la Cour d’appel a fermé les yeux sur cet audit et condamné à nouveau le journal et son responsable…Une façon donc de les faire passer devant l’opinion pour des colporteurs de mensonge, des diffamateurs et donc protéger les détourneurs…

Il y avait aussi l’affaire de la route Lomé-Vogan-Anfoin dans laquelle des ministres ont été cités comme ayant détourné une bonne partie des fonds destinés à la construction de cette voie (26 milliards FCFA décaissé dans un premier temps  sur 36 milliards FCFA), ce qui avait plombé l’exécution des travaux par la société CECO BTP et signé son arrêt de mort. Le chantier sera confié, sans autre forme de procès, à une autre société, …Les détourneurs ont bénéficié de la traditionnelle impunité.  A citer également les dossiers des CAN 2013 et 2017 où le cabinet International investment corporation  (IIC Sarl) requis, avait révélé un trou de plus de 600 millions de FCFA dans l’audit des dépenses pour la participation à ces compétitions respectivement en Afrique du Sud (2,257 milliards FCFA mobilisé à l’époque) et au Gabon (4 milliards de francs CFA collecté).

Le commun des Togolais croyait qu’une croisade allait être lancée contre les prévaricateurs lorsque la HAPLUCIA s’était alors saisie de ces dossiers. « La justice togolaise se sera saisie dans le courant de cette année de trois (3) dossiers importants: les affaires de détournements des fonds alloués aux CAN 2013 et CAN 2017 et le scandale financier lié à la réhabilitation de la route Lomé-Vogan-Anfoin (…) Nous allons insister sur la lutte contre l’impunité. Ce qui veut dire que très bientôt, nous allons travailler les plaintes et les différents rapports que nous avons reçus. Nous allons finaliser rapidement les rapports et les remettre à la justice », avait dardé son Président Essohanam Wiyao. Mais c’était du blaguer-tuer, aucune suite n’a été donnée à ces affaires jusqu’à son remplacement le 24 janvier dernier.

Qui pour mener la lutte contre la corruption?

Les « gouvernards » ont beau nier dans le dossier «Covid-gate », la corruption est bien enracinée au Togo et devenue une véritable gangrène. De l’exécutif à la société en passant par tous les secteurs d’activité, elle se développe chaque jour. L’autre preuve palpable, c’est la confirmation dans le dernier rapport de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption dans le monde au cours de l’année 2021. Au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Togo est classé 3e pays le plus corrompu sur les huit (08) qui la composent, avec un score de 30 sur 100, après la Guinée Bissau (21/100) et le Mali (29/100). Ce n’est non plus par hasard que le Togo a été dernièrement suspendu de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). C’est pour son défaut de transparence. Mais qui pour mener le combat contre la corruption au Togo ?

La question mérite tout son pesant d’or d’autant plus que le cycle du constat ou de l’aveu d’existence de ce mal au Togo a débuté depuis des lustres. Après les populations, les opposants et autres activistes de l’opposition, Abdoulaye Yaya n’est que le dernier responsable d’institution en date à s’illustrer. La plus retentissante des dénonciations, peut-être à demi-mot, c’était celle à peine voilée de Faure Gnassingbé lui-même. « Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès », déclarait-il le 26 avril 2012 dans son allocution de la veille du 52e anniversaire de l’indépendance du Togo.

Bref, c’est  tout le monde qui fait le constat de la corruption au Togo. Mais personne n’agit. Attend-on  le feu vert du « Jeune Doyen» ? Cela risque de ne jamais arriver lorsqu’on considère le pédigrée des détourneurs et corrompus, en tout cas les plus gros. Ils sont tout en haut et manifestement, on cherche à les protéger. Manque de volonté de lutter contre le fléau de la corruption au Togo, dites-vous ? Une chose est certaine, on ne peut pas continuer par faire le constat mais n’arrêter et punir personne. Cela devient de la comédie ou de la mise en scène pour arnaquer les partenaires et gruger les naïfs qu’on veut lutter contre la corruption.

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