présenté par CLAUDE ASSIOBO TIS, GRAND PRIX DE LA LITTERATURE TOGOLAISE
Par Vincent Amakpé
Universitaire – Gabon
Le récit se passe dans un pays appelé le Djoumé et s’ouvre sur une scène pathétique
Sur une plage très visitée du lundi au vendredi, la jeunesse autochtone venait « s’asseoir toute la journée et voir les heures tourner sur le cadran du soleil. Revenus de ces grands voyages qu’on appelle l’école, chaque mois, ces jeunes Djoumévi venaient s’asseoir simplement dans le sable ».
La même plage accueille les touristes, étrangers surtout, les weekends pour les loisirs.
Dans ce décor émerge le visage d’un premier personnage véritable : Amévo. En causant avec les jeunes, il leur révèle la responsable de leur situation : Mamiwata. Mamiwata est à la fois une déesse universellement connue sous le nom de la sirène et particulièrement sur les côtes de l’Afrique noire, notamment au Togo. Déesse mi-femme, mi-poisson par sa queue, elle symbolise dans la mentalité des habitants du golfe de guinée la grande beauté féminine et la prospérité matérielle. Par contre dans l’esprit des religions révélées importées aussi sur nos côtes, elle représente l’esprit maléfique, destructeur… L’auteur combine les deux profils de Mamiwata : dans son œuvre, celle-ci a le portrait d’une femme fatale et nantie qui pousse hommes et femmes à la débauche pour les mettre en transe devant les cauris (l’argent) de deux façons. Avec les mâles, elle prend contact dans l’eau, même dans leurs piscines privées.
Quant aux femmes, elle s’introduit en esprit dans leurs corps pour les dévoyer vers la prostitution. Au sens étymologique de son nom qui est d’origine anglaise Mami water qui signifie dame-reine des eaux, l’auteur a su jouer sur la langue éwé pour mieux lui coller le rôle de la prostituée : « Wa » en ewe veut dire « qui fait » ; « ata » signifie « la jambe », une des parties érotiques d’une femme. Mamiwata veut dire femme qui fait des jeux de jambes avec les hommes, (au lit sous-entendu). Claude Assiobo Tis chez qui dans un autre livre L’Amour et le Sang, le diable n’existe pas (le diable étant, selon lui, tout simplement l’être humain), dans sa fiction, il fait de Mamiwata « le diable » en personne : cette femme est dans l’œuvre au cœur de toutes les intrigues.
Ce Vodou, simplement évoqué dans la bouche d’Amévo, au début du récit (page 9), Mamiwata aura un rôle central dans toute l’œuvre où elle crée souvent le merveilleux, Dans ce pays, le Djoumé, où se déroule l’histoire du livre, les citoyens sont divisés en deux clans : les wova (ceux qu’on dit venus d’ailleurs), les wolé (ceux qui se disent vrais autochtones). Ils sont divisés aussi en deux classes : les Djoumévi (les citoyens ordinaires) et les Djoumégan, (les hommes influents, qui plus est, appartiennent aux réseaux souterrains et complexes avec le Vodou). Il y a justement dans ce livre deux sens du mot complexe : complexe comme le complexe d’Oedipe (c’est le complexe de Mamiwata), Complexe comme le complexe scolaire (ce sont le complexe touristique, le complexe Mamiwata) :
Commençons par le complexe de Mamiwata en laissant la parole à l’auteur même que M. Anoumou AMEKUDJI a pu interroger dans son œuvre Six auteurs notables de la prose au Togo où il nous dit : « Le complexe de Mamiwata, c’est le fait de n’évaluer son titre d’homme qu’à travers les choses matérielles qu’on possède, ces choses qui vous gouvernent finalement». En d’autres termes, c’est le fait de ne mesurer son poids et son importance d’homme que par ses richesses matérielles, le fait d’être gonflé par ses biens et non de se valoriser à travers le bien, l’être, la vertu. Mamiwata, en dernier ressort, ce sont ces gens de blanc richement vêtus à l’extérieur, mais pourris à l’intérieur.
Mais il y a un autre complexe. Pour détourner tout le pays de la trajectoire de son passé de pêcheurs, Mamiwata crée sur les côtes une activité de substitution, un complexe touristique (dont le complexe hôtelier détenu par les Romains (les vrais étrangers), ce complexe touristique qui va contribuer à la prostitution des « filles de la plage ». Mais le but ultime de Mamiwata en créant ce complexe touristique, c’est surtout de détruire la pêche. Ainsi craignant elle-même d’être pêchée un jour par les braves pêcheurs de Djoumé (ceux qui sont adeptes de Hèbiesso), Mamiwata fait abolir la pêche non par la force mais par la séduction : en distribuant abondamment auxdits pêcheurs des boites de sardines, c’est-à-dire, ces poissons perpétuellement en conserve et prêts à manger qui vous épargnent de tout effort d’aller pêcher encore.
Le troisième complexe du livre, c’est le complexe Mamiwata, à ne pas confondre avec le complexe de Mamiwata : le complexe Mamiwata, ce sont tous les réseaux d’enrichissement souterrain : c’est la corruption organisée en secret. C’est surtout ce réseau où les hommes politiques sont en combines fatales avec les hommes d’affaires. Mais on peut le comprendre au sens large. Ce sont par exemple les hommes de santé qui cherchent à vendre cher leurs compétences aux malades pauvres. Ce sont les professeurs qui troquent les notes et les diplômes contre le sexe et l’argent : « les notes éjaculées », selon une expression de l’auteur. C’est ce complexe d’affaires politiques surtout qui est à l’origine des guerres les plus sales à l’allure de génocide parfois comme la guerre entre les wolé et les wova, décrite dans le livre aux page 35 à 45 : « un jeu de feu automatique… nécrologique… chronologique. Et tous les jours, on dirait qu’ici l’humanité courait hors-sujet. Jusqu’aux portes des dispensaires, des Wolé commencèrent même à pénétrer dans les hôpitaux en reprochant aux médecins de n’avoir pas diagnostiqué plutôt le nom de leurs malades mourants avant de chercher à les soulager (…). »
Pour arrêter ces horreurs et retrouver la quiétude, il faut que les Djoumévi, wolé et wova, s’organisent ensemble pour pêcher l’instigatrice cachée de ce désordre, Mamiwata, il faut donc la capturer, fût-ce au moyen d’un braconnage. Au premier plan de cette campagne de pêche dangereuse du vodou marin, il y a trois forces à mobiliser : des divinités, un Dieu, des hommes.
Ces divinités, ce sont dans le livre les oracles invisibles (les médiums, des entités de vision) et les oracles visibles (les médias). Cette interférence entre le magique et le technologique ou cette incursion du mystique traditionnel dans le moderne scientifique est la marque de l’écriture de l’auteur.
A part les oracles, il y a Hèbiesso, le dieu du feu foudroyant, en guerre ouvertement contre la déesse des eaux. Ce dernier dieu est puisé aussi du panthéon animiste éwé ou adja-éwé, l’aire culturelle de l’auteur. Les Fons l’appellent Hèviesso. C’est le dieu de la foudre qui, au Togo et au Bénin, frappe les voleurs. Dans l’œuvre de Claude Assiobo Tis, ce dieu transposé par son imaginaire dans nos réalités modernes représente les forces armées mais les forces armées républicaines au service des Djoumévi.
Pour appuyer le combat de Hèbiesso contre Mami, il n’y pas que les divinités et les dieux, il y a aussi des hommes.
Il y a le pasteur Féli. C’était un ancien esclave, revenant d’Ayiti (Haïti) pour s’installer sur la côte, la terre de ses ancêtres, et fonder une école de pêche, Ecole des Enfants de Pêcheurs. Il y a aussi Amévo, l’un des élèves sortis de cette école. Mais parmi les hommes, celui qui détient le secret de cette pêche redoutable, c’est le prince Agbéto ;
il avait été décapité par les adeptes du vodou Mamiwata, et sa tête, coupée est jetée dans la mer. Il faut coûte que coûte retrouver alors cette tête pour y retrouver son secret impérissable : le secret de la pêche du vodou marin.
Alors il revenait aux jeunes Djoumévi de veiller, rester éveillés désormais sur cette plage en espérant qu’un jour les vagues ramènent cette tête précieuse. A défaut, il faut que les Djoumévi aillent en haute mer pour la rechercher.
Au dernier chapitre, on découvre la Tête mais cette aventure en haute mer devient une surprise : dans cette tête d’Agbéto, tranchée et jetée en haute mer, est allé même se réfugier le vodou ennemi, cette tête est devenue sa grotte. Est-elle encore récupérable ? La tonalité est tragique.