Foncier : le nouveau procédé des prédateurs

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On connait « sagbassè » (en éwe ou mina), entendu double, triple, bref ventes multiples de terrain, phénomène devenu banal à Lomé et sa banlieue, de même que les ventes frauduleuses. Mais voir un quidam monter en une nuit un mur ou une clôture sur un terrain d’autrui, le contraindre à une procédure judiciaire interminable et le lui arracher au finish, c’est nouveau. Et c’est le stratagème utilisé depuis quelque temps par ceux qu’il conviendrait d’appeler les « prédateurs » ou « malfrats » fonciers…

Gbamakope, Akato-Avoème au lieudit Massemekope…les litiges ou plutôt scandales fonciers relèvent de la routine au Togo. Bien souvent, ce sont des individus qui débarquent et réclament la propriété de vastes domaines de terrain, alors que des gens y ont acquis des parcelles, construit et vivent depuis des décennies. Dans d’autres cas, les ventes ont été effectuées par des concessionnaires indus et l’affaire crée un litige entre les acquéreurs qui finit au tribunal. Dans d’autres encore, les vendeurs font des doubles, triples, bref de multiples ventes, au nom de la cupidité. Ce dernier problème est le plus abondant rencontré par beaucoup d’acquéreurs et qui implique aussi bien les propriétaires terriens que les géomètres, les agents des services compétents ou même des juges.

Tout cela engendre une insécurité foncière dont sont bien conscients les gouvernants et les frustrations liées à la terre constituent une bombe à retardement. Conscients du problème, le gouvernement a fait adopter un nouveau Code en juin 2018. Le texte, de 736 articles, vise, dit-on, à lutter contre la spéculation foncière, l’expropriation ou encore le bradage des terres rurales. Entre-temps le Président de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature Abdoulaye Yaya s’est vu obligé de faire une sortie publique pour crever l’abcès. C’était en aout 2021 Mais tout cela ne semble avoir le moindre effet sur le fléau. Une nouvelle facette et pas moins pernicieuse du problème foncier se développe depuis un moment. Il s’agit de ce qu’il conviendrait d’appeler le « patapa » (forcing) foncier, l’accaparement de terrain d’autre à l’aide de l’élévation express et/ou nocturne de mur…

C’est une voix connue qui a brisé le silence sur le sujet et poussé un cri d’alarme la semaine dernière sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’apôtre King Yoshua Agboti. Les prédateurs ont jeté leur dévolu sur un terrain acquis par sa sœur depuis une trentaine d’années et sur lequel il y a tous les papiers.

« C’est un certain Monsieur Akakpo, un motariste (sic) qui restait derrière Eyadema qui a acheté le terrain à l’époque, fait un titre foncier et l’a vendu plus tard à ma sœur. Mais aujourd’hui, on ne sait d’où sortent ces gens, le terrain qui est ici depuis, ils sont venus le voler », s’est-il plaint, dans une vidéo réalisée au cours d’une descente sur le terrain en compagnie de journalistes. Mais comment ces prédateurs fonciers procèdent-ils ? « Ils construisent aussitôt une pièce après avoir fait la fondation. Hier quand on était là, on a vu qu’ils ont fait la fondation d’une pièce. Quand ils font ça, ils élèvent aussi la clôture et amènent le problème au tribunal, corrompent des juges et ces derniers vous trainent tellement que vous serez fatigués, vous à qui appartient le terrain (et vous abandonnez). C’est comme ça qu’ils procèdent. Et quand ils ont plus d’argent que toi, ils t’arrachent le terrain », confie le responsable religieux.

« J’ai alerté les forces de l’ordre, elles ont amené une convocation demandant à ces gens d’arrêter les travaux. Eux, ils disent que les agents n’ont pas le droit, mais seul un huissier peut les arrêter.  Aujourd’hui c’est samedi et ils savent avant d’agir. Quand ils veulent t’arracher le terrain, ils guettent le jour où tu ne peux faire aucune démarche. C’est aujourd’hui samedi qu’ils sont venus, l’huissier ne peut pas faire les formalités et parvenir à faire signer la cessation des travaux par le juge jusqu’à ce qu’il vienne la signifier (…) Notre fondation était ici, mais en 30 minutes, ils ont élevé le mur. Avec ça, ils t’ont déjà arraché le terrain ».

Face à cette mésaventure, l’apôtre a interpelé le ministère de la Sécurité et de la Protection civile et lui suggère ce qu’il croit fermement comme la solution : «Il faut qu’il mette en place une brigade qui viendra, en cas de litige, faire son rapport et envoyer les deux parties au tribunal pour être départagés ».

Un autre témoignage d’une dame. « C’est le terrain de mon papa à Djagble…Il a acheté plein de terrains là-bas et en a distribué  à tous ses enfants…Notre lot,  on voulait le clôturer, mais des gens nous ont amené des papiers et on a arrêté les travaux, sans savoir que c’était une stratégie », confie t-elle. Et d’ajouter : « En une nuit, ils sont venus avec des maçons et ils ont monté le mur. Un oncle à côté nous a alertés et nous avons amené les documents, mais ils ont fait comme si de rien n’était…Exactement comme ce qu’il ils ont fait avec ceux-ci ».

« Présentement, nous faisons les démarches au tribunal de Tsévie. Nous venons avec les autochtones qui nous ont vendu le terrain, les mandataires qui ont signé les papiers ; mais ceux qui nous disputent le terrain ne viennent pas. Quand il leur plait d’appeler, tu les entends dire: j’appelle de la Présidence. Une sorte de trafic d’influence. Nous sommes allés au tribunal 5 fois, ils ne sont pas venus », se plaint-elle. «Nous nous sommes dit qu’on ne va pas prendre d’avocat parce que nous ne savons pas la raison pour laquelle nous devons en prendre. Ce n’est pas une question de double vente, il n’y a aucun problème sur le terrain et donc on ne comprenait pas (…) Tout dernièrement, quelqu’un a fini par se présenter comme leur avocat. Ce qui nous oblige aussi à prendre un avocat », relève la dame, et de pester : « Nous sommes dans quel pays ? ».

A travers ces témoignages – Dieu sait que beaucoup d’autres en sont aussi victimes-, on comprend aisément le phénomène qui se résume ainsi. On identifie des terrains souvent nus et jette son dévolu là-dessus. On amène en grand nombre des maçons qui, en un temps record, érigent la fondation, élèvent les murs ou clôtures du terrain. Parfois, ils opèrent la nuit et au lever du jour, ce sont les murs ou clôtures qui accueillent les propriétaires du terrain. L’affaire est ensuite introduite au tribunal. Mais aucune chance pour la victime de s’en sortir car ces réseaux de personnes y ont même des agents acquis à leur cause et son sort est très vite scellé. Le dossier peut faire 10 ou 15 ans et éreintée, la victime finit par abdiquer.

Il urge que les autorités compétentes prennent à-bras-le-corps cette nouvelle stratégie des gangsters fonciers et y trouvent des réponses…

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