Je viens de terminer le roman de Sandra Ahavi: Le Soleil Attendra. L’histoire est truculente, le style est succulent. Je vous fais découvrir par cet extrait :
Pour une fois la rumeur était fondée. Ma mère avait cocufié son mari. Mon géniteur, lui, mourut de jouissance sous le fromager où je fus conçue. Un veinard, ce mec. Finir sa vie en extase. Quand l’agonie se confond au plus culminant point de l’excitation génésique, cela fait une belle mort. Une partie de jambes en l’air qui finit par les jambes au cou. Mon père a crevé à l’image de ces faux-bourdons qui meurent juste après s’être accouplés avec leur reine abeille. La verge raide, son mâle buste tout gonflé de plaisir, il s’effondra sur ma mère. Saisie de panique, elle le repoussa sur le côté et prit la fuite sans appeler au secours. Les ultimes gamètes de mon père se réfugièrent dans les entrailles de ma mère pour lui faire l’enfant bâtarde que je suis. Tant d’effort pour me fabriquer, c’est que je devais être sacrement importante pour ce monde !
( … ) Cet homme puait l’étalon, le fougueux amant qui ferait facilement grimper sa maîtresse aux rideaux. Je ne pouvais m’empêcher de lâcher mon imagination. Je me vois plaquer Swan contre un mur dans la pénombre. Je lui arrache sa chemise slim fit, le mords dans le cou avant de faire courir mes lèvres sur son torse jusqu’au nombril. Je lui baise le ventre, descends plus bas, encore, un peu plus, sa verge raidie a déjà craqué la braguette de son pantalon. J’y pose la saveur de mes lèvres et je sens son corps convulser d’orgasme entre mes doigts qui agrippent fermement ses cuisses fortes. Il empoigne mes cheveux, la tension devient trop intense pour qu’il se retienne de gémir ; la musique est suffisamment forte pour couvrir ses cris de plaisir.
Style succulent: beaucoup d’inventions, la nouveauté des phrases vous emporte, sur le plan stylistique quelle réussite ? Bravo!!!…Dans le fond, je ne vous ai fait découvrir que la surface d’un iceberg. Plus que l’érotisme, dans ce roman, des personnages ne sont qu’une expression de la bestialité où la violence le dispute au sexe: homosexualité, inceste, prostitutions. L’intrigue ( peut-on même parler d’intrigue ou de simples portraits?) nous fait contempler les tableaux de ce qui peut arriver de malheureux et de fatal à l’homme s’il ne lui reste que sa liberté d’agir sans tenir compte de ce que spinoza considère comme sa nature exceptionnelle: la raison… Mais ce roman peut-il recevoir bon accueil en Afrique, le lieu d’origine de l’écrivain, où la lecture n’est pas dans le simple plaisir du texte ? Elle doit nous dévoiler quelque chose sur nous-mêmes, jouer un rôle de miroir; l’homme dans sa d’échéance comme dans son héroïsme veut comprendre ; rongé perpétuellement par la question du sens de sa vie, il est un perpétuel chercheur de sens. Au-delà du sens de sa mort physique, il veut comprendre surtout aujourd’hui sa mort morale. L’art est cet autre rayon laser, un des moyens émotionnels qui lui permettent de se sonder …L’Africain ne parie pas encore sur la post modernité… Le monde des marginaux n’intéresse pas l’homme en général puisque, s’il lui arrive d’y basculer, il ne veut guère y demeurer comme ces marginaux. Dans les sociétés occidentales où le sexe est banalisé, et l’homosexualité protégée, ce roman ne scandaliserait pas sans doute. En Afrique, ils seront majoritaires à protéger leurs jeunes contre la lecture de ce roman, même si la porno est désormais démocratisée sur les réseaux sociaux. Et je vous apprends que beaucoup de parents, beaucoup d’enseignants au Togo protestent en privé contre les livres mis au programme à cause des histoires troubles de sexe qu’on y étale…. Je n’invente pas. Mon opinion est qu’il appartient aux professeurs de recadrer. C’est leur rôle et non celui de l’écrivain. On peut partir de l’affichage du sexe cru pour étudier la différence entre le sexe et la sexualité, la sexualité et l’affection comme on peut se servir des scènes de violence pour condamner la violence. La question entre l’art et la morale reste un grand débat dans nos pays.
Voici la réaction de l’écrivain togolais, Jean Kantcebe sur le roman: Le Soleil Attendra. Un roman peu moralisateur, mais non sans morale; un livre pas pour parents puritains du dimanche et bons dionysiaques le reste de la semaine, mais un livre pour parents de toute espèce. Avoir lu Madame Bovary à l’école sans devenir Emma Bovary, avoir abrité les pièces interdites de Baudelaire au lycée sans avoir été maudit; avoir touché à la sensualité naturelle suspecte à la lecture de _Le Rouge et le noir_ sans avoir perdu la tête comme Julien Sorel la sienne à l’échafaud; avoir traversé la mare aux mille tentations de Sade sans devenir sadique. Tôt j’ai appris que pour être bon écrivain, bon littéraire critique, bon citoyen, il faut avoir goûté à l’encre de toutes les saveurs, vaincu les courbures de toutes les écritures. Le roman de Sandra Ahavi est une écriture libre, hors grilles, a-scolaire. Ce n’est pas un roman pour beaux anges, mais c’est un beau roman, plus beau que beaucoup d’anges terrestres. Ce n’est pas un roman pour bibliothèques d’écoles, mais un roman pour toutes les bibliothèques (les scolaires comprises). Que l’école togolaise soit le lieu privilégié de l’éducation et de la moralisation des jeunes, il faut y croire, mais qu’en est-il ? Quelle est donc cette école outrecuidante qui voudrait se mêler de ce qui ne la regarde pas (plus)? Notre école ne s’appelle pas (plus) _Éducation nationale_ il y a belle lurette, est-ce par hasard? Serait-ce pour rien qu’elle s’appelle depuis belle lurette _Enseignements primaires et secondaires etc._? Non, c’est par priorité d’objectifs et par principe de transmission des connaissances et des savoirs. Je pense. Le Soleil Attendra est un roman écrit droitement, sans fantaisie, dans une langue jeune, vive, ardente avec des mots clinquants porteurs d’une parole rapide, précise d’une saveur de miel sauvage, étonnante. Une vraie soupe des champs, ce livre Je l’ai dégustée, la bonne soupe, jusqu’à la dernière goutte et… jusqu’au fond de la marmite je l’ai curée. Cette cuisine habilement composée aux épices tropicales de fille-de-mère et de grand-mère m’a donné un plaisir inattendu. Plus qu’une fiction, c’est un livre concret, fougueux, avec des histoires sensibles au toucher. Comme ce vieux poète contemporain, son grand-père peut-être, la jeune auteure n’ignore pas les mots malfamés de notre société qui n’en est plus vraiment une. Elle a choisi de les fréquenter les mots malfamés et c’est bien. Elle ne porte pas de gangs pour tirer les mots des égouts et des caves, elle y va de ses mains nues. Et ça aussi est bien pour la créativité litteraire. Laissons nos enfants, nos élèves et nos étudiants, laissons-les lire Le Soleil Attendra. Et n’oublions pas que « ce n’est pas le rince-doigts qui fait les mains propres, ni le baisemain qui fait la tendresse » . Et n’oublions pas qu’ _ « à l’école de la poésie (de la littérature) on n’apprend pas, ON SE BAT » __(Les guillemets sont de Léo Ferré, un Baudelaire contemporain chantant)
Voici la contribution de Théo Ananissoh: A propos du « Soleil attendra » de Sandra Ahavi (Awoudy).Possible transmutation du réel par le langage et l’imagination romanesques afin de dévoiler/découvrir la logique profonde de ce qui est ; afin de faire percevoir le non-sens, l’immoralité absurde et sans perspective humaine de ce qui a cours…Ça se passe sous nos yeux. Le simple fait, si j’ose dire, de truander sans cesse dans la circulation, le fait d’oublier toutes les autres vies humaines quand on roule à moto ou en voiture dans Lomé signifie une logique mentale qui peut se manifester horriblement autrement… Recherchons ce qui est au-delà, pour une véritable éducation des jeunes…Il y a beaucoup plus d’obscénité et d’horreur dans nos quotidiens et hypocrisies d’adultes, et nous avons bien conscience des impasses cruelles qui attendent les jeunes innocents qui viennent après nous…